Sabine Sicaud

« Sabine Sicaud : l'enfant poète », par France Lambert

In Points et Contrepoints

N° 31, mars 1955 (p. 33-36).

 

          L'inspiration, qui souffle au coeur de quelques êtres, se plaît parfois à hanter de très jeunes esprits, et parmi les merveilles de la nature, cette visite exceptionnelle est de choix ; c'est ainsi que l'on a parlé des enfants prodiges. Une petite fille de chez nous est au nombre de ces prédestinés : Sabine Sicaud. Sa vie secrète et fugitive décrit une fulgurante trajectoire dans le ciel de notre littérature ; il convient de porter son oeuvre et son nom à la place à laquelle ils ont droit.

 

          Nous sommes en 1928. L'été flambe dans le ciel, en ce mois de juillet qui peint de jaune les plaines, les routes et les murs des maisons. Voici un grand jardin qui croule d'arbres et de fleurs : le paradis terrestre... ou tout au moins quelque chose qui lui ressemble, une profusion de couleurs et de verdures sous un ciel bleu, si bleu ! Les branches ploient sous leurs richesses de miel, les roses versent l'arôme de leurs calices inclinés, c'est la magie de l'été dans un domaine du midi de la France, dans un domaine qui porte un nom qui pourrait justement avoir le paradis terrestre pour être vraiment lui-même : « La Solitude ».

          Sur cette féerie de la nature et de la vie, un jeune regard erre déjà vague et comme transposé en une autre terre invisible aux yeux des hommes. Des boucles abondantes autour d'un visage sérieux, éclairé parfois d'un sourire trop grave et trop indulgent pour un front de petite fille, Sabine Sicaud se meurt dans la magnificence de l'été. Elle a quinze ans.

          Que peut laisser une petite fille de quinze ans : une maman désolée, une poupée triste, des jouets à l'abandon ? — Oui, tout cela, et plus encore... des cahiers dont les pages couvertes d'une écriture nette et ferme ont franchi le domaine du silence et de « La Solitude » pour étonner le monde des lecteurs et des lettrés.

 

          Quinze ans d'enfance !... C'est bien peu ! — Assez cependant pour que Sabine Sicaud ait écrit des feuillets inoubliables insérés dans quelques revues françaises et étrangères. De nos jours, les anthologies commencent à les accueillir.

          Ses vers eurent des succès dès 1924. En 1925, elle remporte le grand prix des Jeux floraux de France avec son poème : Matin d'automne, cependant que deux autres de ses envois sont primés. Le jour où les concurrents sont fêtés, la salle bondée de curieux, d'intellectuels, d'étudiants, croule en applaudissements, et les acclamations redoublent à l'annonce de l'âge de la lauréate. Une femme brune, gracieuse, immortelle... s'agitait dans sa loge et tendait les mains vers de vide de la scène comme pour mimer une approbation ou un appel : Anna de Noailles.

          Les ovations tonnaient sous les voûtes, les coulisses, presque désertes, abritaient dans la pénombre d'un pilier une forme dont la minceur se fondait dans la muraille. On cherche la petite Sabine. La voici blottie et muette. On l'entoure. On veut la désigner au public. Les lèvres blanches, les bras raidis, Sabine s'y refuse. On l'entraîne, presque malgré elle, vers la loge d'Anna de Noailles qui prend toutes les fleurs éparses autour d'elle pour en couvrir l'enfant.

 

          Il y a longtemps de cela, Sabine Sicaud n'est plus. Elle repose depuis lors sous la terre d'un profond jardin, là où les fleurs prennent racine pour monter vers la lumière et s'y épanouir. Je feuillette ses oeuvres et aussi une lettre que m'écrivit, un jour de ces dernières années, sa maman, une lettre extrêmement émouvante d'une maman que j'imagine à cheveux gris, avec un visage qui ne peut plus sourire, et que j'ai évoquée souvent par la pensée, me la dessinant dans ce « paradou », toute seule avec la même splendeur terrestre d'autrefois, dans une cage dorée dont l'oiseau s'est envolé.

          Elle me disait, cette lettre :

          « La voix des poètes, même entendue si peu de temps, appartient à ce qui ne meurt pas. Peut-être notre époque a-t-elle plus particulièrement besoin de leur message... »

          Quelle prescience dans ces lignes !

          « En parlant de ces prédestinés, on ne doit pas dire : il était, on doit dire : il est... puisque leur pensée se prolonge parmi nous. »

 

          Jeune prodige du pays de France qui, lui-même n'est qu'un immense jardin, voici ce que Sabine Sicaud dit de celui où elle vécut et dans lequel elle puisa la plus vaste inspiration de son oeuvre. Écoutez-la parler des arbres : 1

 

« Ô couloir de bambous, mystérieux pour moi

Comme une douce nuit profonde et verte,

N'enviez par l'arme qui tue ou blesse, l'arme ouverte

Ou cachée, à l'affût, qui se mouille de sang !... »

 

Et le beau tunnel vert, dans le soir qui descend,

          Me berce d'un bruit d'ailes,

Et c'est comme un grand bois qui s'endort - ou la mer,

          Quand la mer nous appelle

De toutes ses petites vagues au front vert,

Des vagues qu'on dirait chuchotantes dans l'air

          Et dont chacune aurait des ailes... »

 

          Et penchée sur les livres, le mirage de la nature lui fait encore lever le front pour dire : 2

 

« L'Histoire ? Un conte aussi. Pour les voyages, rien,

            Rien, sachez-le, ne me retient

            Si quelque oiseau bleu me fait signe.

 

Quant aux poèmes... soit. Nous attendrons l'été.

L'été n'a pas besoin de rimes qui s'alignent.

Attendons seulement le pourpre velouté

De cette rose que je sais, près de la vigne... »

 

         Toutes les pages de cette enfant-poète sont marquées du sceau de la plus pure inspiration. Ce qu'il y a de surprenant, c'est que vient s'y ajouter, sans la moindre révélation d'un effort, et sans la plus petite trace de vanité, une culture étonnante chez un être de cet âge, tout cela enchâssé, ainsi que des pierres précieuses, dans un style où la science ne le cède en rien à l'innovation. Les parents de Sabine Sicaud étaient de braves gens et simple fonctionnaires qui n'avaient aucune prétention à la littérature, et l'oeuvre de leur fille n'est que le propre jaillissement du génie.

 

         Les pays étrangers de l'ancien et du nouveau monde ont célébré leurs enfants prodiges. L'écran, les salles de concert, les revues, la publicité en tout genre et de toutes langues, ont offert à l'admiration publique les visages et les talents de ceux, qu'en terme de foire, on traite de phénomènes. Le nom de Sabine Sicaud, évoqué parfois dans les soirées littéraires, transcrit dans les anthologies, le plus souvent dans celles de second plan dédaignées des gros éditeurs, n'est connu que des amoureux de pure poésie et des auditeurs qui font abstraction totale de ce virus, triste rejeton de la bêtise : le snobisme. Quelques publications anglaises, frappées du talent de cette petite fille, ont inséré plusieurs de ses textes ; diverses revues françaises, entre autres, la revue Poésie (Éditions de la Caravelle dont le directeur était Octave Charpentier), ont accueilli des fragments de son oeuvre ; des érudits, qui ne se laissaient pas subjuguer par d'incidentes réputations, aussi creuses que passagères, comme il en existe à chaque époque et qui sont dues à une sorte de psychose aveugle et décadente, relisent ses pages, prononcent son nom, avec estime et respect. L'inspiration de Sabine Sicaud contient une essence précieuse puisqu'elle trouve sa source dans la pureté de l'enfance. Voici quelques vers de ses plus étonnantes pages. Ils sont extraits d'un de ses poèmes qui traite d'un sujet tout aussi angoissant qu'éternel et qui a pour titre même : La paix.

 

« Où ? Quand ? Sur quel chemin faut-il l'attendre

Et sous quels traits la reconnaîtront-ils

Ceux qui, depuis toujours, l'habillent de leur rêve ?

Est-elle dans le bleu de ce jour qui s'achève

Ou dans l'aube du rose avril ?

 

Écartant, les blés mûrs, paysanne aux mains brunes

   Sourit-elle au soldat blessé ?

Comment la voyez-vous, pauvres gens harassés,

Vous, mères qui pleurez, et vous, pêcheurs de lune ?

 

          Est-elle retournée aux Bois sacrés,

                    Aux missels fleuris de légendes ?

Dort-elle, vieux Corot, dans les brouillards dorés ?

Dans les tiens, couleur de lavande,

Doux Puvis de Chavannes ? dans les tiens,

Peintre des Songes gris, mystérieux Carrière ?

Ou s'épanouit-elle, Henri Martin, dans ta lumière ?

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Ah ! tant de verbes, d'adjectifs, de parenthèses !

- Moi qui la sens parfois, dans le jardin, l'été,

Si près de se laisser convaincre et de rester

          Quand les hommes se taisent... »

 

        Hors la qualité de ce style, les évocations et les images sont peintes dans une buée de féerie. Nous en retrouvons le mirage dans son poème intitulé : Les pèlerins de la dune.

 

« Les pins...Les pins aux verts cheveux,

Aux sandales d'or et de cuivre,

                        Un par un, deux par deux,

                                   Droit devant eux,

                                   S'en vont, comme ivres...

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Les pins s'en vont, chargés d'encens,

D'or et de myrrhe, vers là-bas,

Vers des pays qu'on ne sait pas, tendant les bras...

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

            Puisque je vois, au clair de lune,

            Au clair de soleil, verte ou brune,

            Marcher la forêt devant moi...

            Puisque c'est vrai, lorsque j'y crois !... »

 

         L'enfance, qui fait du mirage une réalité et qui porte en son être fragile la force d'une foi, relèvera le niveau de la pensée. Sabine Sicaud, de ses mains rayonnantes de petite fée, glisse dans notre littérature une fraîcheur et une limpidité semblables à l'eau courante. Sa philosophie, si surprenante dans un cerveau de quinze ans, est tributaire de la divination. Son souffle poétique, la science de son style, qui d'ailleurs est moins de la science qu'un don exceptionnel, lui désignent une place parmi nos meilleurs poètes. N'est-ce pas un devoir de nous hâter et de la lui donner ?

 

France LAMBERT

 

1 Extraits du poème L'allée des bambous [ Guy Rancourt ]

2 Extraits du poème  Des livres ? Soit...  [ Guy Rancourt ]

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