Sabine Sicaud

« Poèmes d’enfant », compte-rendu d’André Fontainas
In Mercure de France 
N° 681, 37e année, tome CXCI, 1er novembre 1926, p. 660-661.

[ …] 
          À lire les Pages de la Quinzième Année et d’autres poèmes de Mlle Blanche Cazes, on serait tenté d’y applaudir, tant la facture du vers y est ferme, habile souvent, si peu l’expression bute à des difficultés dont les vieux routiers se rendent compte mieux qu’une ingénue débutante, tant on y perçoit de savoir sans pédantisme et de sincérité dans le sentiment. Et pourtant, on se le demande, d’un bourgeon si promptement mûri, quelle sera la fleur ? Ne se flétrira-t-elle pas avant d’éclore ? L’air et la vie ne le meurtriront-ils d’un contact asséchant ? Qu’adviendra-t-il de l’enfant prodige quand il se rendra compte de lui-même et des autres, quand il aura souffert, aimé, quand il comprendra ?

          Ces doutes me tourmentent tout autant en la présence des Poèmes d’Enfant qui sont pour Mme la Comtesse de Noailles l’occasion de nous présenter, dans la magnificence de sa générosité coutumière, l’auteur, Mlle Sabine Sicaud, dont le beau regard et les « traits émouvants attestent une âme contemplative ». Cette enfant est simple, naturelle, rien, à la voir, « ne décèle l’habile et malicieux démon » qui, pourtant, dicte au jeune poète ces vers incisifs et pittoresques, car les poèmes de l’enfant prodige sont chargés de savoir et tressautent de ruses charmantes. Elle use tour à tour de « départs » naïfs et téméraires et échappe aux pièges par des ressources gracieuses, savantes, toujours réussies et toujours poétiques. Mme de Noailles s’ébahit du bagage charmant de mots délicats et nuancés dont Mlle Sicaud met en valeur le sens exquis dans des rythmes d’un heureux mouvement, qui lui obéissent de la façon la plus imprévue, – et elle recommande la lecture de poèmes, comme impromptus, gentils, spirituels souvent et tout parfumés d’un frais et sincère amour de la nature : le Petit Cèpe, le Cytise, le petit chat Fafou, etc… Mais où Madame de Noailles perçoit de l’espièglerie, n’y a-t-il pas aussi des combinaisons astucieuses qui charment, soit ! parce qu’elles sortent d’une âme candide, mais révèlent déjà des germes de savoir-faire et de trop mutine ou facile satisfaction de soi-même et de ce qu’on fait, quoi que ce puisse être ? Quel développement normal dans un sens souhaitable peut légitimement être pressenti, après ce début « comme par jeu » ?

          Je me méfie beaucoup des débutants qui croient, à qui on laisse croire, qu’ils ont maîtrisé les difficultés de leur art ou atteint les parages de la plus haute pensée humaine, parce qu’il ne savent pas que ces difficultés existent ni quelle est l’altitude de ces parages, et parce que, souvent à leur insu, loin de les avoir maîtrisées, ils ont tout au plus esquivé le danger de les reconnaître et de les aborder.

          Je goûte avec beaucoup plus de confiance les débuts d’un poète qui cherche, qui peine, qui parfois bute, et qui triomphe par obstination. [ … ]

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