Sabine Sicaud

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Les pins…Les pins aux verts cheveux,
Aux sandales d’or et de cuivre,
                        Un par un, deux par deux,
                                   Droit devant eux,
                                   S’en vont, comme ivres…

Ivres de soleil, et de vent,
Les bras tendus, penchés souvent –
Tant le vent du large les pousse,
Tant le soleil mord jusqu’au sang
La dune rousse
Les pins s’en vont, chargés d’encens,
D’or et de myrrhe, vers là-bas,
Vers des pays qu’on ne sait pas, tendant les bras…

Les pins s’en vont dans un bruit d’ailes,
Un bruit de pas, un bruit de voix surnaturelles.

Je les entends, je les entends… À pas légers,
La forêt suit, comme un troupeau suit le berger.

            À voix basse, bouche fermée,
            Comme les chanteurs de l’Ukraine,
                        L’Océan dit ses peines.

            La dernière houle, calmée
Froisse et défroisse des étoffes qu’elle traîne…
Et le vent joue à l’imiter, dans les remous
Des pins en marche.

                        Ô patriarches,
                        Verts pèlerins des sables roux,
            Pèlerins vers je ne sais où,
            C’est bien vous qui marchez, c’est vous
Qui faites, sous mes orteils nus, frémir la dune…

            Le soir tombe… Et peut-être ici
            A-t-on rêvé, mouillés de lune,
            De soirs mauves, gris pâle aussi,
                        Et diaphanes…
            De vos soirs, Puvis de Chavannes1

            Moi, j’ai vu des pins, un par un,
            Devenir bleus, devenir bruns,
            Je les ai vus, fouettés d’embruns,
            Disloqués par le vent sauvage,

            Et conduisant toujours, toujours,
            Le même long pèlerinage…

            Hallucinés, aveugles, sourds,
            Je les ai vus en Don Quichotte,
            Je les ai vus en Juif-errant,
            Chauves, bossus, manchots, branlants,
            Ombres chinoises de la côte.

            Et derrière, j’ai vu, pressés
            Comme les moutons de la fable,
            D’autres pins, tous les pins blessés,
            Cramponnés aux pentes de sable…

            Dans les pots d’argile, saignait
            Leur sève épaisse, goutte à goutte…
            Les premiers pins suivaient leur route.

            Moi seule les accompagnais…
            Vers quelle Espagne de miracles ?
            Vers quelles sierras, quels châteaux,
                        Quels tabernacles ?

            Non, ne me dites pas tout haut
            L’histoire des pins de la dune,
            L’histoire vraie en quatre mots…

            Puisque je vois, au clair de lune,
            Au clair de soleil, verte ou brune,
            Marcher la forêt devant moi…
            Puisque c’est vrai, lorsque j’y crois.

Côte d’Argent, août 1925

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1 Pour plus d'information sur ce peintre, voir Pierre Puvis de Chavannes.

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